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Le Blog de René 2.0
30 avril 2014

Datation au carbone 14

On imagine des trucs bizarres, quand on est petit.

Quand j'étais enfant, j'adorais l'archéologie. J'étais abonné à Arkéo Junior. Et j'avais même fait une sorte de colonie de vacances archéologiques. Où j'avais déterré un vrai squelette. Dans ce qui était un cimetière gaulois. Quelque part dans la région de Lyon.

Bon, évidemment, ce n'était pas vraiment moi qui découvrait le squelette. Les vraies fouilles du site avaient été faites depuis longtemps. Depuis des années, les enfants déterraient les mêmes squelettes en boucle. Et les animateurs les réenterraient dès qu'on était parti.

En tout cas, je lisais beaucoup de choses sur l'archéologie. Alors forcément, j'avais entendu parler de la datation au carbone 14. Mais on ne peut pas dire que j'en avais parfaitement saisi le principe. En fait, je maîtrisais aussi bien le sujet que la résolution d'équations différentielles du second ordre.

Non, je ne savais pas ce qu'était une équation différentielle, à cet âge-là. D'ailleurs, je ne savais même pas ce qu'était une équation. Ces mots m'évoquaient juste des calculs méga-super-compliqués avec des symboles tout bizarres. Maintenant, je résous des équations différentielles juste parce que je me demande combien de temps prendrait un trajet en train gravitationnel sur Uranus. Et que je ne vais pas réussir à dormir si je ne trouve pas la réponse. Mais à l'époque, je m'endormais plus facilement. Et puis de toute façon je ne savais pas ce qu'était un train gravitationnel.

Pour la datation au carbone 14, mon imagination s'était quelque peu emballée. J'avais vaguement retenu que le carbone 14 était radioactif. Même si je n'avais pas tellement d'idée précise sur ce que ça pouvait vouloir dire. Et j'avais l'image d'une sorte de rayon magique fait avec ce carbone 14. Qu'on aurait envoyé sur les objets qu'on voulait dater. Ensuite, une étrange machine, sans doute magique elle aussi, aurait regardé ce que ça fait. Et aurait affiché l'âge de l'objet. À dix ans, ça me paraissait parfaitement normal. À dix ans, beaucoup de choses me paraissaient magiques. Magiques mais normales.

Pour ma défense, vous reconnaîtrez tout de même qu'il est rare qu'un enfant de dix ans ait une idée bien claire de ce que peut être la radioactivité. Pour moi, c'était une sorte de rayonnement mystérieux. Et certainement un poil magique. Alors une méthode de datation avec un truc radioactif, c'était forcément un poil magique aussi.

Remarquez que je ne suis pas sûr que si on m'avait expliqué, j'aurais compris quelque chose. L'histoire de ces atomes qui peuvent tout aussi bien se désintégrer dans la seconde ou au contraire rester tranquilles à ne rien faire pendant les dix millénaires à venir, sans que rien ne permette de le prévoir, je pense que j'aurais pu m'y faire. Mais quand, après ça, on nous aurait dit qu'on peut quand même prévoir combien d'atomes du tas de départ il restera au bout d'un temps donné, j'aurais sûrement été largué. À dix ans, on est vite largué. Cela dit, il faut avouer que ces étrangetés peuvent être assez déstabilisantes. D'un côté, on ne peut rien savoir sur ce que vont devenir chacun des cent atomes d'un tas de carbone 14. Mais de l'autre, on peut prédire qu'au bout de six mille ans, il n'en restera plus que cinquante. Et qu'encore six mille ans plus tard, il n'y en aura plus que vingt-cinq. À dix ans, c'est le genre de trucs qui m'aurait épaté. Je n'aurais peut-être rien compris mais ça m'aurait épaté. En tout cas, j'en aurais sûrement eu l'air. Avec la bouche grande ouverte. Pour dire « woaaaaaaa c'est génial ! » Ou bien « gnéééé ???? » Avec plein de points d'interrogations.

À l'étape suivante, j'aurais probablement été assez fier. Parce que je connaissais l'âge de la Terre. Et puis ça m'aurait rassuré. Enfin un truc que je connais. Ouf. Mais je n'aurais pas été rassuré longtemps. Parce que le petit paradoxe dont on parle souvent à ce moment-là m'aurait sans doute complètement échappé. Même encore maintenant, je ne le trouve pas facile à appréhender. Vous savez, ce paradoxe, sur l'existence actuelle du carbone 14. Si on part du principe que le carbone 14 n'est plus produit depuis la formation de la Terre, vu que celle-ci a quelques quatre milliards et demi d'années, il ne devrait pas en rester un seul atome aujourd'hui. Dit comme ça, ça paraît simple à comprendre. Et en un sens, je le comprends... mais en un autre, ça me dépasse. Ça me dépasse même complètement. Car j'ai envie de me dire que, s'il y avait beaucoup de carbone 14 au début, il pourrait en rester un peu aujourd'hui. Mais non, justement. En quatre milliards et demi d'années, la quantité de carbone 14, si rien n'était produit en chemin, aurait eu le temps d'être divisée par deux la bagatelle de sept cent cinquante mille fois. Sept cent cinquante mille, ça ne paraît pas un si grand nombre que ça. Mais ça revient à dire que la quantité de carbone 14 a été divisée par deux à la puissance sept cent cinquante mille. Ce qui est un gros nombre. Vraiment gros. Immensément gros. Tellement gros que je ne vois pas comment je pourrais me le représenter dans ma tête. Si mes griffonnages ne sont pas trop incorrects, ce nombre a aux alentours de deux cent vingt-cinq mille chiffres. Alors que le nombre d'atomes dans l'univers ne fait que quatre-vingts chiffres. Même si l'univers entier était constitué, il y a 4 milliards et demi d'années, uniquement de carbone 14, cela ferait belle lurette qu'il n'en resterait plus rien, si aucun nouvel atome n'était produit. Et l'univers serait assez vide. Enfin, question carbone 14. D'autres atomes les auraient remplacés, évidemment. L'univers ne serait donc pas vide du tout, en fait. Mais les fans de carbone 14 trouveraient sans doute que si.

Heureusement que l'univers n'est pas vide. Ça serait assez monotone. Et terriblement ennuyeux. Encore que nous ne serions pas là pour nous ennuyer. Et si personne ne s'ennuie, cela signifie que ce n'est pas ennuyeux, a priori. Non ?

En tout cas, l'univers n'est pas vide. Et il y a du carbone 14 sur Terre. À cause des rayons cosmiques. Qui viennent d'à peu près n'importe où dans l'univers. Mais avec une certaine préférence pour le Soleil. Ces rayons viennent visiter notre atmosphère. Qui s'en retrouve toute agitée.

En fait, pour tout dire, ça met un sacré bazar, là-haut. Il y a plein de trucs qui se font détruire. Et tout un tas de nouveaux machins sont créés. Dont le carbone 14. Qui est donc produit en continu depuis la naissance de notre planète. Et qui reste en proportion à peu près constante dans notre atmosphère. Dans notre atmosphère et tout ce qui échange du carbone avec elle. Dont nous. Les êtres vivants. Puisqu'on est construit à base de carbone.

C'est là que je trouve ça génial. Une partie du carbone 14 qui est en nous se désintègre, forcément, puisqu'il est radioactif. Mais en respirant et en mangeant, on avale de nouveaux atomes de carbone 14. Qui viennent remplacer ceux qui se sont désintégrés. Par contre, une fois qu'on est morts, on ne respire plus tellement. Et on ne mange plus beaucoup non plus. Les atomes de carbone 14 qui se désintègrent ne sont donc plus remplacés. Plus le temps passe, moins il y en a. Alors que le carbone 12, lui, il reste sagement à sa place. Donc si on regarde le carbone que contient un os, plus il est vieux, plus la proportion de carbone 14 sera petite. Il suffit de mesurer cette proportion pour savoir depuis combien de temps est mort le propriétaire de l'os. À condition bien sûr que son propriétaire ne soit pas mort depuis trop longtemps. Parce qu'au-delà de quelques dizaines de milliers d'années, le carbone 14, il n'en reste plus tellement. Et s'il n'y a plus rien à mesurer, on ne peut pas dire grand-chose. Mis à part que c'est vieux.

Lucy, par exemple, avec ses plus de trois millions d'années, on ne risque pas de dater son squelette de cette façon. Par rapport à l'âge de la Terre, elle est jeune. Mais du point de vue du carbone 14, elle est très vieille. On est vieux jeune, avec le carbone 14. Enfin, si on part du principe que trois millions d'années, c'est jeune.

À la réflexion, je ne suis pas sûr que beaucoup de monde trouve ça jeune, trois millions d'années.

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