La Tête de l'emploi

Je n'ai pas beaucoup plus de souvenirs de la sortie de The Dark Side of the Moon que de la mort de John Lennon.

Bernard n'est sûrement pas né en 1974. Peu importe que l'année soit carrée ou non. Bernard ne peut pas être né en 1974 car il se souvient de la sortie de The Dark Side of the Moon. S'il était né en 1974, il aurait eu moins un an à ce moment-là. À moins un an, le cerveau est rarement suffisamment développé pour que l'on puisse avoir des souvenirs. Et puis il a commencé à travailler dans une banque en 1981. Quand on est né en 1974, on ne travaille pas dans une banque en 1981. Ne serait-ce que parce que sa tête ne dépasserait pas du comptoir.

Bernard, c'est le nom du « je » du nouveau roman de David Foenkinos. La Tête de l'emploi. Dans Les Souvenirs, le « je » n'a pas de nom. « Je » se contente d'être « je ». Cette fois, « je » s'appelle Bernard. « Je » peut bien s'appeler Bernard. Mon « je » à moi s'appelle René. Pourquoi celui-là ne s'appellerait-il pas Bernard ?

Vous trouvez sans doute que je parle beaucoup de Foenkinos. Ce qui est assez vrai. Je ne lis pourtant pas que du Foenkinos. Mais il se trouve que je viens de lire deux de ses livres à la suite. Il fait un temps très Foenkinosien, ce mois-ci. Le vent ne devrait cependant pas tarder à tourner. Et se mettre au nord-est. Du côté de l'Islande. Du côté de Jón Kalman Stefánsson, très précisément. Si mes prévisions sont correctes, bien sûr. Je peux me tromper. Mais mes prévisions à moi sont nettement plus fiables que celles de Météo-France. Il faut dire que mes prévisions sont aussi nettement plus locales.

Dans tous les cas, un changement de météo serait plutôt le bienvenu. Un temps Foenkinosien me convient très bien. Mais je ne tiens pas non plus à ce que ce temps ne dure trop longtemps. Manger des carrés de chocolat accompagnés de fonds de champagne, c'est toujours agréable. Mais à la chaîne, ça lasse. Il vaut mieux espacer les dégustations. Ce serait bête de s’écœurer d'aussi bonnes choses.

Le chocolat de La Tête de l'emploi a un arrière-goût de pâte d'amande. J'adore la pâte d'amande. Quoi de plus moelleux et douillet que de la pâte d'amande ? La Tête de l'emploi a quelque chose de très moelleux. Surtout dans la troisième partie. Cette troisième partie est définitivement très pâte d'amande.

Le défaut de la pâte d'amande, c'est de manquer de surprises. Il y a des chocolats de toutes sortes. Difficile d'en dire autant de la pâte d'amande. C'est toujours aussi bon. Et même qu'on en reprendrait bien. Mais on reste sur sa faim, en matière d'inattendu. D'autant qu'ici, le chocolat qui enrobe le tout ne nous réserve pas beaucoup de surprises non plus. On retrouve en effet le même que dans les productions précédentes de Foenkinos. Si vous avez déjà goûté à sa recette, vos papilles ne seront pas dépaysées.

Notez cependant qu'exceptionnellement, le nom de John Lennon n'est pas cité. Ce qui est à la limite du déconcertant. Son nom n'est pas cité mais celui de Let it be l'est, rassurez-vous. Entre deux références à Pink Floyd. Nous ne sommes donc pas perdus. Nous reconnaissons bien notre chocolat habituel.

La pâte d'amande et le chocolat manquent de surprises mais, fort heureusement, La Tête de l'emploi nous réserve une dernière goutte de champagne pour la fin. Histoire de redonner une pointe de pétillant à cette troisième partie. Sans cette goutte de champagne, je crois que j'aurais été déçu. Mais la goutte est là. Et rend la pâte d'amande plus savoureuse. Parfois, la saveur d'un roman tient à une goutte de champagne.

Ceux qui ont déjà goûté à Foenkinos ne risquent certes pas d'être étonnés par son dernier né... mais il faut reconnaître qu'il reste un excellent chocolatier. Au contraire de Stefánsson. Stefánsson met bien trop de hareng dans ses chocolats. C'est peut-être un excellent écrivain mais comme chocolatier, il a des progrès à faire. Ce n'est qu'un avis personnel, bien sûr. Mais je n'ai qu'un enthousiasme modéré pour les chocolats au hareng.