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Le Blog de René 2.0
17 février 2014

La Tristesse des anges

Ce matin, Sophie a fait gagner quatre-vingt-dix joules à son parapluie.

Les personnages de Jón Kalman Stefánsson, eux, n'avaient même pas de parapluie. Mais de toute façon, vu la tempête qu'ils affrontaient, ça ne leur aurait servi à rien. Le parapluie se serait contenté de s'envoler dans les premières pages. Et on ne l'aurait plus jamais revu.

06_gâteau aux carottes et StefanssonCe matin, pendant que Sophie faisait gagner quatre-vingt-dix joules à son parapluie, j'ai fini La Tristesse des anges. La suite d'Entre Ciel et terre. Et j'ai mangé du gâteau aux carottes, aussi. C'est bon. Le gâteau aux carottes, je veux dire. C'est un très bon gâteau. Je ne sais pas si on peut dire que La Tristesse des anges soit un bon gâteau. Mais c'est un très beau livre. Tellement beau que je l'ai pris en photo. Avec le gâteau aux carottes. Le gâteau aux carottes y tenait beaucoup. Et puis il n'est pas complètement inesthétique.

Vous noterez le canapé bleu, qui s'est discrètement glissé derrière. Ce canapé veut être sur toutes les photos.

Au moment de partir, Sophie a hésité à prendre son parapluie. La météo avait annoncé du beau temps. Mais le ciel avait un certain air menaçant. Il ne nous tenait pas en joue. Mais gardait tout de même la main sur son arme. J'ai dit à Sophie qu'elle pouvait toujours prendre son parapluie au cas où le ciel dégainerait. Un parapluie, ce n'est pas si lourd que ça. Trois cents grammes, c'est tolérable. On peut bien lui faire gagner trente mètres d'altitude. Ça ne coûte pas plus de quatre-vingt-dix joules. Si on a bien compté. Quatre-vingt-dix joules d'énergie potentielle de pesanteur. Ça s'obtient en multipliant la hauteur gagnée par la masse de l'objet et l'accélération de la pesanteur.

L'accélération de la pesanteur, g de son petit nom, c'est l'accélération que subit n'importe quel objet qui se laisse aller à tomber sans retenue. Sur Terre, g vaut une petite dizaine de mètres par seconde carrée. C'est-à-dire qu'à chaque seconde, notre vitesse augmente de dix mètres par seconde. Quand on y pense, ça fait beaucoup. C'est pour ça qu'il est déconseillé de sauter par la fenêtre quand on habite au douzième étage. Mais le parapluie ne tenait pas à sauter par la fenêtre. Et puis il n'y a pas beaucoup d'immeubles de douze étages, par ici.

En multipliant g par les trois cents grammes, on obtient trois. Car il faut transformer les grammes en kilogrammes. Du moins, si l'on veut un résultat en joules. Et trois, multiplié par les trente mètres, ça fait quatre-vingt-dix joules. Nous avions donc bien compté.

Après le calcul, Sophie s'est décidée à prendre le parapluie. Et a donc monté le sentier à travers le bois avec lui. En lui donnant ces quatre-vingt-dix joules.

Quatre-vingt-dix joules, c'est l'énergie qu'il faut pour faire atteindre à ce même parapluie une vitesse de vingt-cinq mètres par seconde. Quatre-vingt-dix kilomètres par heure. Mais Sophie a préféré lui donner de l'énergie potentielle de pesanteur. Plutôt que de l'énergie cinétique. Remarquez que la conversion se fait facilement. Il suffirait que Sophie lâche le parapluie depuis ces trente mètres de haut. Il atteindrait les vingt-cinq mètres par seconde juste au moment de l'atterrissage. Où il les perdrait aussitôt. Enfin, bien sûr, ce n'est vrai que si l'on peut négliger les frottements. Si Sophie laissait son parapluie dévaler la pente dans le bois, il y aurait probablement quelques frottements. Le parapluie n'atteindrait vraisemblablement pas les vingt-cinq mètres par seconde. En fait, je ne suis pas sûr que le parapluie atteigne grand-chose.

Par contre, si les personnages de La Tristesse des anges avaient ouvert un parapluie et l'avaient laissé partir à l'aventure, le vent lui aurait sans doute permis de faire un assez beau voyage. Presque tout le livre se passe dans la tempête. Dans la tempête et dans la neige. L'histoire est censée se dérouler au printemps. Mais aussi près du cercle polaire, l'hiver est souvent peu enclin à s'en aller. Jens et le gamin doivent donc affronter cet hiver sans fin. Dans la tempête. Des flocons plein les yeux. On ne peut pas dire que ces personnages nagent dans la félicité. À vrai dire, si vous avez une tendance à la dépression, la lecture de ce livre n'est pas forcément des plus conseillées. L'ambiance y est à peu près aussi débridée que sur un bateau en perdition.

Jón Kalman Stefánsson est certes un très mauvais chocolatier. Mais les chocolats au hareng ne sont pas sa spécialité. Il faudrait être fou pour se spécialiser dans les chocolats au hareng. Sa spécialité, ce sont plutôt les fruits de mer. Ça a quelque chose de beaucoup moins immédiat que le chocolat et le champagne de David Foenkinos. Mais aussi de beaucoup plus durable. On quitte bien plus difficilement les fruits de mer de Stefánsson que le chocolat de Foenkinos. Ou même que le gâteau aux carottes de Sophie.

En fait, il n'y a pas que des carottes, dans ce gâteau. Il y a de la pomme, aussi. Et des noix. Une bonne quantité de noix. De noix et de raisins secs. Dans La Tristesse des anges, il n'y a pas de raisins secs mais il y a de la poésie. Beaucoup de poésie. Presque autant que de neige. Le gamin adore la poésie. On peut même dire qu'elle est sa raison de vivre. Jens, lui, ne raffole pas autant de poésie. D'ailleurs, si le gamin pouvait arrêter de débiter ses vers, ça l'arrangerait.

Au passage, n'allez surtout pas prononcer Jens comme on prononce Jean. Vous le froisseriez. Et encore moins « jai-nsse ». « Jai-nsse », c'est assez laid. Non, c'est plutôt « yènsse ». Il faut voir le « j » comme un « i » déguisé en consonne.

Jens ne vit donc pas pour la poésie. Il vit plutôt pour Salvör. Salveurrr. Avec un beau « r » roulé à la fin. Et un « ö » qui ne se prononce pas « o » du tout. Mais on a de la chance. Elle aurait très bien pu s'appeler Geirþrúður. Comme un autre personnage de ce livre. Dont j'ai renoncé à prononcer le nom. En principe, quand quelqu'un prononce ce nom, on doit avoir l'impression de s'être perdu en Terre du Milieu. D'être face à Gandalf, parlant d'un lieu obscur et médiocrement accueillant. Dans une langue à mi-chemin entre les mines de la Moria et une poissonnerie délabrée. Ça peut paraître rustique. C'est pourtant étrangement élégant. Un peu comme l'est l'écriture de Stefánsson, d'ailleurs. Avec ce flot de phrases sans fin. Mais bizarrement fluides.

Bon, évidemment, moi, je ne juge l'écriture de Stefánsson qu'à travers sa traduction. Par un certain Éric Boury. Il est possible que ce que j'aime, c'est l'écriture d'Éric Boury. Qui fait semblant de traduire des livres que personne en France ne comprend de toute façon. Et qui sort ses romans en faisant croire que ce sont des traductions. Dans ce cas, il aurait peut-être mieux fait d'être écrivain, plutôt que faux traducteur. Mais il est aussi possible qu'il soit simplement un très bon traducteur.

Il y a aussi de la vanille et de la cannelle. Dans le gâteau. C'est une recette suédoise. Jón Kalman Stefánsson est islandais mais le gâteau aux carottes est suédois. Cependant, pour être honnête, ce gâteau aux carottes ne sent pas du tout la carotte. Ça ne l'empêche pas d'être bon, remarquez. D'ailleurs, dans La Tristesse des anges, il n'y a pas de carottes non plus. Et ce n'est pas pour ça que ce n'est pas bien. Si on aime les fruits de mer, c'est bien. Très bien, même. Mais plus que les fruits de mer, il faut aimer les textes poétiques, pour lire Stefánsson. Mais qui n'aime pas la poésie ? C'est triste, une vie sans poésie.

Si vous croyez ne pas aimer la poésie, lisez La Tristesse des anges. Stefánsson se chargera du reste. Stefánsson et le gamin. Armé de sa flamme. Sa flamme de poésie perdue dans une tempête de neige.

Si vous aimez déjà la poésie, lisez La Tristesse des anges aussi. Ce serait bête de se priver. Et tant qu'à faire, lisez toute la trilogie. Entre Ciel et terre d'abord. Puis La Tristesse. Et Le Cœur de l'homme. Je n'ai pas encore lu le dernier. Il faudra que je corrige ça rapidement. En attendant, je crois que je vais reprendre une part de gâteau aux carottes.

Il ne sent peut-être pas la carotte mais il est drôlement bon. Et puis l'avantage, c'est qu'on peut très bien manger de ce gâteau sans aimer les carottes. Encore que ce ne soit pas un gros avantage sur La Tristesse des anges. On peut très bien lire La Tristesse des anges sans aimer les carottes.

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